Il y a une quinzaine d’années, je me suis engagé dans une fonction que je savais promise à évoluer mais qui devait rester une mission de cadre du système éducatif, dans le registre de l’humain, avec pour fonctions premières d’aider élèves et enseignants.

Aujourd’hui, il existe un tel écart entre le travail prescrit (ou du moins énoncé dans notre lettre de mission ou par voie de presse) et l'activité que nous déployons réellement dans un contexte d’urgences permanentes, toutes présentées comme prioritaires, que je suis bien en peine de définir ce métier. C’est devenu une gageure tant les contradictions et injonctions paradoxales sont omniprésentes.

Ce gouffre entre le prescrit et le réel est source de stress, de tensions et de surcharge qui conduisent nombre d’entre nous à l’épuisement professionnel. Dans ce contexte, il est difficile de travailler de manière productive et créative, de développer notre potentialité.

Quel sens trouver actuellement à un métier de l’humain qui s’exerce au travers d’une centaine d’applications informatiques toutes plus verrouillées et non ergonomiques les unes que les autres et dans une GRH totalement déshumanisée qui nous laisse finalement seuls face aux problèmes humains ? A une gestion du long terme qui doit se faire dans l’immédiateté, à la distribution des masques, livrets ? A une mission de service public transformée en VRP de l’autorité hiérarchique dans laquelle seule l’image prime ? Aux rendez-vous de carrière qui nous ont éloignés des classes alors qu’ils devaient nous en rapprocher ? Aux enquêtes qui deviennent « flash » pour justifier l’absence de délai ? Quand même les meilleures réformes que l’on porte loyalement sont irrémédiablement vouées à l’échec faute de savoir-faire de la haute hiérarchie en conduite du changement ; le « combien » et le « tout de suite » priment toujours sur le « comment » et le « durablement » ?

Le « pas de vague » n’existe pas, bien entendu… Mais le mécontentement exprimé des usagers conduit à retirer à l’un pour apporter à l’autre, au gré des pressions et pour éviter les remous, en l'absence de moyens (remplacements, médico-social, etc.). Acculé à une gestion palliative permanente générant d’innombrables conflits et crises, l’IEN n’est plus en mesure d’accompagner ou de protéger les personnels qui craquent, de répondre à leur mal être croissant, au sein du ministère de la bienveillance. Quand un IEN coordonnateur de PIAL s’appuyant sur un directeur d’école sans moyens reçoit comme consigne de retirer son AESH à un élève notifié pour l’affecter en priorité à un enfant dont les parents ont mis en demeure l’institution, l’accueil et l’accompagnement des EBEPs passent d’intentions louables à tartufferies visant usagers et agents.

Comment en tant que cadre organiser son emploi du temps en gérant les priorités alors que les convocations pleuvent, parfois émises par le même service pour 3 endroits différents en même temps ? Que les dates de réunion changent tout le temps ? L’IEN aguerri apprend à trier, hiérarchiser, jusqu’au rappel à l’ordre répétant qu’il n’est pas là pour décider.

La perte de sens est réelle lorsque tout ministre commence par lancer une ou plusieurs nouvelles réformes qui ne dureront que 2 à 3 ans. Quand on nous demande de défendre bec et ongle un principe puis son contraire quelques années après. Quand le cadre confine au flou le plus total, que les décisions se prennent dans la surréaction de court terme, l’agenda politico médiatique prenant le pas sur le cadre technique et humain. Le temps des médias n’est ni celui de l’enfant ni celui de la conduite du changement dans la plus grande organisation humaine d’Europe qui s’inscrivent tous deux dans le long terme. A essayer de suivre une direction qui change en permanence, on finit irrémédiablement par tourner en rond.
La perte de sens se poursuit lorsqu’on demande à l’IEN d’innover tout en ne prenant aucune initiative, en se contentant d’appliquer sans interpréter. Lorsque l’autorité départementale lui interdit de faire intervenir un enseignant du 1er degré dans le 2e degré pour lui expliquer 2 ans plus tard que c’est ce qu’il faut faire. Lorsque l’injonction d’être dans les classes et d’accompagner la pédagogie (son cœur de métier) se heurte à une réalité qui fait de lui un IEN de bureau (tant il devient impossible de le quitter) phagocyté par d’innombrables tâches d’exécution administrative. Lorsque les notes ou courriers qu’il adresse au DASEN préconisant une action urgente dans un contexte grave restent sans réponse, malgré les relances. Lorsqu’il lui est demandé de valider des missions de PACTE sans les filtrer et sans demander de projet alors que c’est l’argent de l’Etat qui est engagé.

Que penser quand on empêche les enseignants qui veulent quitter ce métier de partir ou qu’on leur refuse l’exercice à temps partiel, qu’on les pousse de fait à l’arrêt maladie et qu’on en fait des VRP de la souffrance enseignante, aggravant le déficit d’attractivité de ce métier ? Quand un IEN se voit dénier le droit d’organiser le télétravail au sein de son service et n’est pas associé à la prise de décision mais cantonné à de l’exécutif de dernière minute, à devoir sans arrêt corriger ? Quand on lui assigne des responsabilités de plus en plus importantes notamment sur les activités à encadrement renforcé, les sorties scolaires avec nuitée, le harcèlement, alors que les prérogatives décisionnelles lui sont retirées une à une comme la signature de la moindre convention d’accueil de stagiaires.

Exerce-t-il encore un métier de cadre éducatif ? Peut-on encore définir ce métier ?

Manifestement, même notre ministère n’est plus en mesure de le faire aujourd’hui.

Rémi, IEN CCPD

 

Remi

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