15 mars 1962. Six éducateurs assassinés, un crime toujours impuni.

Le 15 mars 1962, quatre jours avant le cessez-le-feu issu des accords d’Evian (18 mars 1962), 6 responsables des Centres Sociaux Educatifs sont assassinés par l’OAS. Ils remplissaient leur mission éducative : organiser l’enseignement de base en arabe et en français ainsi que la formation professionnelles des jeunes Algériens. Ces 6 dirigeants réunis au Centre social de Château-Royal dans la commune d’El Biar près d’Alger avaient pour noms : Max Marchand (ancien instituteur, ins- pecteur d’académie, chef de service au CSE), Mouloud Fe- raoun (instituteur, écrivain reconnu, directeur adjoint au chef de service des CSE), Marcel Basset (directeur d’un centre de formation), Robert Eymard (instituteur, chef du bureau péda- gogique), Ali Hammoutène (inspecteur de l’éducation national, directeur adjoint aux CSE) et Salah Ould Aoudia (ancien insti- tuteur et inspecteur des centres aux CSE).

L’UNSA Éducation rend hommage à ces militants pédago- giques et syndicaux, épris de liberté et de justice. Elle rappelle qu’aux côtés de l’association « Les amis de Max Marchand, de Mouloud Ferraoud et de leurs compagnons », elle a permis qu’au ministère de l’éducation nationale qu’une salle porte le nom de ces militants.

Restée impuni, le crime d’El Biar est l’une des pages les plus tragiques de la guerre d’Algérie.

 

La présentation des événements par notre ami Maurice Daubannay nous aide à mieux comprendre les enjeux de ce "devoir de mémoire"...

 

15 mars 1962. Six éducateurs assassinés, un crime toujours impuni.

 

Quatre jours avant le cessez-le-feu issu des accords d'Evian (18 mars 1962), six responsables des Centres Sociaux Educatifs (CSE) créés par Germaine Tillion[1] en 1955, sont assassinés par l'OAS. Ils remplissaient leur mission d'Education nationale : organiser l'enseignement de base en arabe et en français ainsi que la formation professionnelle des jeunes Algériens sur le territoire, tout en prenant en compte les aspects sanitaires et sociaux. Accusés par l'autorité militaire de faire le jeu des indépendantistes, une trentaine de leurs collègues, instituteurs arabes, kabyles ou métropolitains seront arrêtés en 1956 et 1959.

 

Le 15 mars 1962, les six dirigeants des CSE étaient réunis au centre social de Château-Royal dans la commune d'El-Biar, près d'Alger. À 10 h 45 un "commando Delta", sous la direction présumée de Roger Degueldre, pénètre dans la salle de réunion et fait sortir les six hommes du bâtiment. Ceux-ci sont alignés contre un mur de la cour et abattus à l'arme automatique.

Les victimes étaient :

Marcel Basset, directeur du Centre de formation de l'Éducation de Base à Tixeraine (CSE d'Algérie) ;

Robert Eymard, ancien instituteur et chef du bureau d'études pédagogiques aux CSE ;

Mouloud Feraoun, directeur adjoint au chef de service des CSE, ancien instituteur et écrivain ;

Ali Hammoutène, inspecteur de l'Education Nationale, Directeur adjoint aux CSE et ancien instituteur ;

Max Marchand (1911-1962), inspecteur d'académie, chef de service aux CSE et ancien instituteur ;

Salah Ould Aoudia, ancien instituteur et inspecteur des centres de la région Alger Est.[2]

Tous avaient été "élèves-maîtres" en France ou en Algérie, instituteurs puis inspecteurs. Ils étaient arabe, kabyle, français, musulman, chrétien, athée… Max Marchand, le directeur des CSE, était également franc-maçon du Grand Orient de France.

 

Un très bel article page 27 du numéro spécial de "N'autre école n°29/L'Emancipation Hors série, Compétences et Résistances"[3] paru en mai 2011 et intitulé "Ecole, une histoire de la désobéissance" évoque l'action des enseignants en Algérie : "…Les Français les plus progressistes vont se trouver durablement tiraillés entre leur position de fait et leurs idéaux...". A propos des CSE, on peut lire "… En Algérie, nombre d'instituteurs arabes ou kabyles et métropolitains s'investiront, outre dans leurs classes, dans le réseau des centres sociaux initié par Germaine Tillon. Certains seront arrêtés et torturés par l'armée française, d'autres exécutés par l'OAS. Au moment de l'indépendance, plus de 8000 d'entre eux restèrent en Algérie pour assurer la rentrée scolaire de septembre 1962…"

50 ans après : ne pas oublier et poursuivre leur combat émancipateur

 

Au lendemain du crime de Château-Royal, Lucien Paye, ministre de l'Education nationale, demande qu'un moment d'hommage soit observé dans tous les établissements scolaires. Au lycée Pasteur de Neuilly, un élève refuse de se lever (qui songerait à lui reprocher cet acte d'enfant ?) Aujourd'hui, 50 ans après, l'adolescent est devenu le conseiller très écouté du chef de l'état[4], présenté comme l'inspirateur des propos les plus xénophobes entendus ces dernières semaines[5].

 

Difficile à établir en France - sinon impossible - malgré l'action résolue des associations et, tout particulièrement de la Ligue des Droits de l'Homme, la vérité n'est venue qu'en 1989, grâce aux travaux de l'historien américain Alexander Harrisson[6], qui a pu recueillir le témoignage des assassins de Château-Royal, désormais amnistiés[7]. L'un d'entre eux est très connu. Il est même élu municipal dans une commune des Alpes Maritimes[8].

 

Aujourd'hui, après les amnisties successives, les tentatives de réhabilitation de tous les assassins se poursuivent. Certains militants de la droite la plus extrême demandent la suppression du "19 mars" qui représente pour eux la date de l'indignité absolue et la perte de l'Algérie "française". Ils réclament la pose de stèles à la gloire des "soldats valeureux" de l'OAS. Ils sont attentivement écoutés par les proches du chef de l'état et de certains de ses ministres[9].

 

Il faut souligner l'action exemplaire de l'association "Les Amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs compagnons"[10] auquel participe le fils de l'un d'entre eux, Jean-Philippe Ould Aoudia, qui a publié un très utile et très bel ouvrage sur le sujet : L'assassinat de Château Royal - Alger : 15 mars 1962[11]

 

50 ans après, le combat émancipateur pour tous des 6 inspecteurs d'El Biar et de leurs collègues enseignants des CSE doit pouvoir être rappelé, commenté et valorisé. C'est aussi le combat de tous les enseignants, éducateurs et professionnels scolaires, de tous les jeunes, de tou(te)s les citoyen(ne)s d'Algérie, de France et d'ailleurs… d'hier, d'aujourd'hui et de demain.

 

 

 

Maurice Daubannay,

élève-maître (1960-1964), instituteur (1964-1979)

inspecteur primaire (1979-1999), IA-IPR retraité depuis 2002

militant pour les droits des enfants

15 mars 2012



[1] Ethnologue, Germaine Tillion (1907-2008) s'engage dans la Résistance dès 1940. Déportée, elle travaillera à la Libération sur les crimes de guerre nazis et sur le goulag. Elle soutient en France l’enseignement dans les prisons. Amie d'Albert Camus et de Mouloud Feraoun, elle est en Algérie en 1954 où elle créé les Centres Sociaux Educatifs. Le 4 juillet 1957, elle rencontre clandestinement Yacef Saadi, chef de la Zone autonome d'Alger, (ZAA) durant la "bataille d'Alger", à la demande de ce dernier, pour tenter de mettre fin à la spirale des exécutions capitales et des attentats. A l'adresse : fr.wikipedia.org/wiki/Germaine_Tillion

[3] "N'autre école", revue de la fédération CNT des travailleurs de l'éducation ; "L'Emancipation syndicale et pédagogique"

[4] Article paru dans le Nouvel Observateur du 20 novembre 2008, repris sur son site à l'adresse : tempsreel.nouvelobs.com/election-presidentielle-2012/20120216.OBS1600/patrick-buisson-le-stratege-de-l-ombre.html. On peut aussi lire les deux pages d'interview de ce conseiller, publiée dans Le Monde du 14 mars 2012 : lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/03/13/patrick-buisson-hollande-rassemblera-moins-de-voix-que-royal_1666631_1471069.html.

[6] Alexander Harrison, " Challenging de Gaulle - The OAS and the counterrevolution in Algeria - 1954-1962 - "ed. Praeger, New-York, 1989

[7] www.ldh-toulon.net/spip.php?article2573. Le site de la LDH/Toulon contient une mine d'informations sur la guerre d'Algérie, le premier nationaliste et militant démocrate Messali Hadj, son amitié avec Albert Camus, etc. A l'adresse : http://www.ldh-toulon.net/

[10] Siège social : UNSA-éducation   87 bis rue Georges Gosnat   94853 Ivry-sur-Seine. Site : marchandferaoun.free.fr

[11] Introduction de Germaine Tillon, préface d'Emmanuel Roblès, éd. Tirésias-Michel Reynaud, Paris, 1992. On peut aussi consulter : fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Philippe_Ould_Aoudia

Paramétrages de cookies

×

Cookies fonctionnels

Ce site utilise des cookies pour assurer son bon fonctionnement et ne peuvent pas être désactivés de nos systèmes. Nous ne les utilisons pas à des fins publicitaires. Si ces cookies sont bloqués, certaines parties du site ne pourront pas fonctionner.

Contenus interactifs

Ce site utilise des composants tiers, tels que ReCAPTCHA, Google Maps, MailChimp ou Calameo, qui peuvent déposer des cookies sur votre machine. Si vous décider de bloquer un composant, le contenu ne s’affichera pas

Session

Veuillez vous connecter pour voir vos activités!

Autres cookies

Ce CMS Joomla utilise un certain nombre de cookies pour gérer par exemple les sessions utilisateurs.