(Long time ago)
Privilège de l’âge, je suis aujourd’hui en mesure de vous parler d’un temps que peu d’entre vous ont pu connaître. Aux portes d’un repos professionnel dont je ne sais pas s’il est bien mérité, mais dont je suis sûr qu’il sera le bienvenu, j’apporterai un témoignage d’une époque lointaine, sans nostalgie mais avec objectivité, j’espère…
En ces temps lointains, le premier conseil que m’avait donné mon tuteur (qui était lui-même bien proche de la retraite) était de prendre chaque semaine une demi-journée pour se couper de toute activité afin de prendre le temps de lire et de réfléchir. Qui oserait aujourd’hui faire une telle suggestion et qui, plus encore, s’aventurerait à la mettre en œuvre ?
En ces temps lointains, l’ordinateur était un outil parmi d’autres et il restait sagement fermé pendant les réunions, car nul n’aurait eu l’indélicatesse de ne pas écouter (ostensiblement) ses collègues et de s’affranchir d’une réflexion partagée. Le téléphone portable était rare et ne servait qu’à communiquer et non à s’isoler. De nombreux collègues expérimentés (plus élégant que de dire « âgés », ne trouvez-vous pas ?) refusaient même d’en être équipé, car ils percevaient cet instrument comme une réduction potentielle de leur marge de liberté. Ils le voyaient en outre comme un facteur de stress.
En ces temps lointains, les actions de formation étaient préparées avec minutie, mais sans avoir à compléter des pages et des pages qui leur donnent aujourd’hui un formalisme bien éloigné des besoins et des aspirations des équipes pédagogiques. Certes les contenus de formation pouvaient sembler un peu hétéroclites, pourtant ils contribuaient souvent à fédérer autour de projets qui créaient du lien au sein des écoles.
En ces temps lointains, un inspecteur pouvait se permettre des arrangements locaux pour répondre à des situations humaines urgentes et légitimes. Accorder à un enseignant la possibilité d’assister aux funérailles d’un proche ou d’un ami au lieu de le refuser en arguant de normes réglementaires, renforçait le lien de confiance entre les personnels et l’institution.
Faut-il dès lors se lamenter sur le joli temps d’avant que nous aurions perdu ? Sans doute pas, mais peut-être serait-il bon de réfléchir à ce qui était essentiel et qui nous motivait à exercer le métier d’inspecteur. Nous disposions de marges décisionnelles plus importantes que celles qui sont les nôtres aujourd’hui. Ceci ne nous empêchait pas d’accompagner les réformes qui répondent aux besoins d’évolution de l’École, afin que celle-ci reste en phase avec la société, mais nous pouvions le faire avec souplesse, en cherchant toujours à nous adapter au contexte particulier du territoire dont nous avions la responsabilité.
C’est peut-être de cela dont nous aurions besoin aujourd’hui : plus de liberté pour une meilleure efficacité, plus d’autonomie pour un meilleur engagement, plus de solidarité pour un sentiment de sécurité professionnelle, une hiérarchie moins tatillonne pour que nous reprenions confiance en nous et dans l’École…
Ce modeste témoignage vous semble bien décalé par rapport à vos objectifs professionnels ? C’est peut-être vrai… On en reparle dans trente ans ?...
Moi, l’Auvergnat