Comme je l’imagine (dirait Véronique Sanson)… la fonction d’IEN

Il me semble vital en premier lieu de préserver ce que nous savons bien faire :

- Nous sommes d’abord et avant tout des pédagogues. Sans aller dans les classes pour y rencontrer et échanger avec les enseignants, nous déambulons dans la vie professionnelle comme des canards sans tête. Je n’imagine nullement frapper à leur porte en quémandant l’autorisation d’entrer, mais plutôt rétablir l’inspection régulière et tout au long de la carrière. Comprenez-moi bien : dans 8 cas sur 10, nous apportons aux professeurs des écoles (je préférais le terme d’instituteur) de la considération et de l’envie de faire leur métier. Même s’ils ne l’avoueront jamais, notre présence leur fait du bien ! Si nous pouvons à nouveau observer les enseignants tous les 3 ou 4 ans, une plus-value consisterait à inscrire ces visites dans un parcours cohérent : assister à des séances dans des domaines d’activités distincts, à différents moments de la journée, offrir à certains un suivi personnalisé.

- Nous sommes ensuite des chefs d’orchestre, certains préfèreront dire « des pilotes », de proximité. Nos visites de terrain combinées à l’analyse des besoins des élèves et des maîtres doivent nous permettre, en toute liberté, d’écrire une partition, un plan de formation, adapté au contexte local, puis de le mettre en musique. Il est grand temps que nous retrouvions une vraie marge de manœuvre en la matière. Si les constellations impulsées au niveau national ont constitué une évolution très positive en termes de formation, elles ne sauraient être cantonnées dans les seuls domaines de la maîtrise de la langue et des mathématiques. Et la musique alors ? Et l’histoire ? Et les sciences… ?

- Nous devrions redevenir entre nous des coéquipiers. Dans un monde où il devient impossible de maîtriser tout seul l’immensité des savoirs et des savoir-faire, dans un métier où nous nous retrouvons trop souvent isolés, seuls avec nos « emmerdes » (je passe de Véronique Sanson à Charles Aznavour) les IEN gagneraient beaucoup à coopérer, par exemple construire des modules de formation ensemble, afin de profiter des expertises des uns et des autres (maintenant je vous chante Starmania). Il est dommage que les conseils et les collèges d’IEN fonctionnent exclusivement de façon descendante. Ce sont des instances où l’on recueille au mieux de l’information ; si seulement elles pouvaient se muer en authentiques groupes de travail !

Il me parait tout aussi important de faire évoluer notre métier :

- Si nous imaginons un monde futur se débarrassant de l’échelon départemental, avec un recteur de région académique relayé par un corps unique d’inspecteurs (finie la querelle entre IA IPR et IEN), nous apparaitrons plus solidement comme les représentants de l’institution vis-à-vis de la communauté éducative et des collectivités territoriales. Cela ne signifie en rien que notre communication doive être clonée, austère ou robotisée. Si nous avons été choisis, c’est pour notre personnalité, pas pour notre langue de bois. Donc de grâce, restons nous-mêmes !

- Si les directeurs d’école basculent à court terme vers un statut de chefs d’établissement, ce que je pense opportun, après avoir vu de près les bénéfices de ce fonctionnement dans les établissements privés sous contrat, nous devenons de facto des coaches pédagogiques. Je m’imagine dès lors emmener les directeurs dans les classes à mes côtés et échanger avec eux non plus sur les chiens écrasés mais sur les pratiques et leurs effets sur les progrès des élèves. Nous leur donnerions ainsi des pistes pédagogiques à essaimer, seuls ou avec notre soutien.

- Nous avons en une décennie basculé du rôle de guide à celui d’accompagnateur, sorte de consultant privilégié, à l’écoute des problèmes rencontrés par les équipes, à même de leur apporter expertise et conseils. Notre mission se rapproche à ce titre de celle des IA IPR-EVS. Passer du statut d’inspecteur à celui d’accompagnateur ne va pas de soi. Il s’agit bien d’une révolution copernicienne sur laquelle nous avons été peu sensibilisés.

- Nous devenons des chasseurs de talents. À nous de repérer ces profs qui ont des idées, inventent des outils, des méthodes, créent la pédagogie du futur. Nous devons être plus que jamais curieux des autres et les valoriser à l’occasion de temps forts organisés dans la circonscription, de publications ou de formations. D’une certaine manière nous devenons des CARDIE en puissance, des promoteurs de l’innovation pédagogique.

En guise de conclusion, je citerai Yuval Noah Harari, qui dans son essai « 21 leçons pour le 21ème siècle » évoque quatre compétences majeures que les élèves devraient acquérir pour tirer leur épingle du jeu dans ce drôle de monde qui les attend : acquérir un esprit critique, savoir communiquer, coopérer, affronter sans crainte le changement. Je souscris volontiers à ce programme et pense même qu’il pourrait parfaitement s’adapter à notre fonction. Permettez-moi simplement d’y ajouter une compétence supplémentaire : l’humour, sans lequel il nous sera bien difficile de prendre un peu de distance, et de susciter le rire dont nous avons tous tellement besoin en ces temps si troublés.

Eric, IEN qui pense haut ce que les autres pensent tout bas