Comment réduire quelque peu les inégalités sociales par des orientations que l’école maternelle pourrait prendre pour permettre à tous les enfants de s’y épanouir et d’acquérir les connaissances, les compétences et les attitudes pour leur scolarité future ?

Un point d’histoire assorti de quelques commentaires

L’école maternelle française riche d’une longue tradition a bénéficié de l’apport des grands pédagogues, des psychologues, des médecins, des psychiatres et plus récemment des spécialistes des neurosciences. Plus près de nous encore un courant venu d’Amérique du Nord nous a révélé l’intelligence émotionnelle : le cerveau émotionnel enregistre les émotions et les retient, les garde en mémoire.

Depuis 1921 les textes d’Orientation qui se sont succédé en 1945, 1976 avec la pédagogie par objectifs ont en quelque sorte marqué un point d’orgue administratif à une pratique qui avait fait ses preuves comme si la loi consacrait les faits. Et chaque fois, le texte corrigeait quelque peu des excès dans un domaine ou encore l’usure d’une pratique devenue trop rituelle et dénuée de sens.

La note du 10 décembre 1982 insiste sur le travail en équipe et marque un accueil accru des plus jeunes enfants.

Un tournant en 1986 : les Circonscriptions mixtes, amorcées en 1975, s’installent de plus en plus. La spécificité maternelle cède le pas à la continuité pédagogique pour des raisons purement économiques. Les directions d’école sont accordées à des maîtres qui n’ont jamais travaillé en maternelle, les Inspecteurs exercent sur les deux niveaux de même que les Conseillers pédagogiques. Les Inspectrices des Ecoles Maternelles résistent puis cèdent devant le nombre sans cesse croissant des maîtres à inspecter (720 à Orléans, 550 à Rambouillet en 1978). Leurs charges se modifient. Parallèlement le métier de tous les IEN change : les dossiers à traiter s'accroissent, tant dans le mode de gestion de la circonscription que dans les nombreuses relations informelles et institutionnelles à entretenir avec les nombreux partenaires (internes et externes) de l'école. Aux charges habituelles de l'IEN, s'ajoutent ainsi de nouvelles tâches, le temps qu'ils peuvent consacrer à la pédagogie et au fonctionnement des écoles maternelles se réduit donc nécessairement et rend très difficile un suivi de proximité des enseignants et des équipes de ces écoles.

La Loi d’Orientation de 1989 définit clairement l’école maternelle comme première étape du système éducatif et comme socle des apprentissages. Cette loi instaure une politique des cycles. L’école maternelle se situe dans le cycle 1, celui des apprentissages premiers, mais la grande section amorce le cycle 2, celui des apprentissages fondamentaux. A dire vrai, 18 ans plus tard, la mise en place de cette politique des cycles reste souvent assez formelle et théorique. Ses principes (la liberté pédagogique et organisationnelle qu'elle donne, la cohérence des apprentissages qu'elle vise à travers un suivi personnalisé de l'élève au sein de groupes de pairs) sont masqués par les outils de régulation qui l'accompagnent (projets de différents niveaux, évaluations, livret scolaire, équipes éducatives). Ces outils constituent un ensemble cohérent et complexe, mais s'ils sont déconnectés de leurs fonctions, ils apparaissent aux yeux des maîtres contraignants et formels. Dévitalisés, ils peuvent devenir des documents « façades », des pensums sans lien fonctionnel avec l'action. De plus, le temps libéré pour les concertations nécessaires à l'utilisation de ces outils est difficile à utiliser au sein des équipes d'école de par l'ampleur des tâches, la multiplicité des entrées possibles et les problèmes relationnels qui subsistent. Le travail professionnel d'équipe n'est pas encore acquis.

Ces difficultés et dérives ne sauraient masquer l'intérêt de cette Loi. Partout ou le sens des actions est compris et maintenu, les avancées au bénéfice des élèves sont apparentes.

 

Une précision s'impose à propos des apprentissages Ce terme mérite qu'on s'y arrête car il est la source de bien des maux dont a souffert l'école maternelle. Le monde des maternelles partageait une culture commune et vivait dans la connivence ; pour lui, le titre « les apprentissages premiers » (qu'on a d'abord appelé à tort préapprentissages) avait une acception très large. En référence au tout petit qui tente ses premiers pas ou à celui qui, un peu plus tard, essaie d'empiler des objets sans les faire tomber, toutes les activités des enfants de l'école maternelle, celles de découverte en particulier, des matériaux, des matières, des outils et aussi des images et des signes débouchaient sur des prises de conscience et des apprentissages. Des sonorités, des rythmes qu'on donnait à entendre se traduisaient par des gestes, des pas, des allures, des danses. De section en section, le champ des apprentissages s'élargissait dans les différents domaines d'activités y compris la lecture, l'écriture, l'éveil scientifique, les premiers pas dans le domaine des mathématiques et du calcul. Mais, par manque de formation et de réflexion, ici et là, on a réduit les apprentissages aux seuls apprentissages communément appelés "scolaires". Rapidement, le clivage s'est creusé entre les écoles maternelles qui continuaient à pratiquer une pédagogie de l'expression dans différents domaines graphique, oral, plastique, pictural, corporel, rythmique, expression nourrie par des émotions, par un émerveillement et une curiosité sans cesse renouvelés et celles qui introduisent prématurément le « lire, écrire et compter » accompagné de quelque activités occupationnelles, dites même de "délestage" pour passer le temps pendant que l'enseignant se réserve pour les apprentissages "sérieux". Le normatif et le formel prennent le pas sur l'imaginaire, la fantaisie, la créativité, la réflexion et tout simplement sur le jeu authentique, besoin primordial de la petite enfance, jusqu'à 6 ans. Peut-on imaginer de construire des apprentissages ancrés dans l'expérience qui structurent peu à peu le monde pour l'enfant et lui donnent des outils langagiers, pratiques et conceptuels pour agir ? Peut-on penser l'enseignement au cycle 1, comme un projet construit et structuré d'adulte qui accompagne la curiosité et les actions "butinantes" des élèves ?

 

Reprise de l’historique à grands empans

En 1995 apparaissent des Programmes, terme plus précis qu’Orientations.

L’attention est portée avant tout à la maîtrise de la langue française.

Quatre axes :

  • Vivre ensemble

  • Apprendre à parler et à construire son langage,

  • S’initier au monde de l’écrit

  • Agir dans le monde

  • Imaginer, sentir, créer

auxquels il convient d’ajouter des « instruments pour apprendre », entendons : l’activité graphique ainsi que les classifications, sériations, dénombrement, mesurage, reconnaissance des formes et relations spatiales. Une dérive ne manque pas de se faire jour du fait d’une mauvaise interprétation de la place de la Section de Grands augmentée par l’apparition d’une évaluation ambiguë « Grande Section / Cours préparatoire » comportant de surcroît des erreurs : « lecture figée des capacités des enfants, renforcement des traces écrites et de la photocopie, pédagogie de l’exercice et remédiation ultérieure, lourdeur des procédures » (Viviane Bouysse). Les problèmes de formation initiale et continue parasitent sérieusement l’école maternelle : elle comporte tout simplement « trop d’école » (Marcel Duhamel, Séminaire européen organisé par l’OMEP et l’UNESCO - octobre 1996) contaminant jusqu’à la Section des Petits. Un malaise commence sérieusement à s’installer. Les programmes de 2002 arrivent en réaction positive. Ils apportent du neuf sur le fond comme dans la forme et accordent une place beaucoup plus grande à l’apprentissage de la langue.). Les enfants doivent aussi apprendre par cœur un grand nombre de textes de poésie et de prose et les réciter. Dans la même logique, le chant comme le jeu théâtral sont au service de la compréhension, par l’intérieur, des textes littéraires. L’éveil aux arts plastiques, à la musique, au théâtre, au cinéma est expressément signifié de même que l’épanouissement du corps. Le législateur insiste plus qu’ailleurs sur le fait que le maître n’est pas un simple exécutant. A travers la relation pédagogique et affective qu'il établit avec l'élève, toujours originale, toujours singulière, le maître est à sa manière un créateur. Ces programmes précisent que l’école maternelle a pour mission d’aider chaque enfant à grandir, à conquérir son autonomie et à acquérir des attitudes et des compétences qui permettront de construire les apprentissages fondamentaux sur les trois ou quatre années de la scolarité. Rappelant que le langage est au cœur des apprentissages, le législateur présente les trois axes à poursuivre :

  • Vivre ensemble

  • Agir et s’exprimer avec son corps

  • Découvrir le monde.

Il fait une place particulière à la sensibilité, l’imagination, la création, instruments d’une relation au monde extérieur et intérieur.

 

Deux remarques sur ces derniers programmes

« L’école maternelle, propédeutique de l’école élémentaire » précisons, en section de grands, à partir du deuxième trimestre.

En revanche, l’intérêt pour le livre commence très tôt, avant même la section des petits et l’entrée dans l’écrit se fait en section de moyens sans que ce soit un apprentissage systématique.

On ne peut que saluer les instructions relatives à l’art sous des formes diverses en tant que stimulations mais l’enfant, lui, produira à sa manière ce qui l’a touché. Il assiste à un spectacle qui peut lui plaire ou l’amuser mais aussi il se livrera avec quelques camarades, encouragés par l’enseignant, à un jeu dramatique, activité très complète et enrichissante pour la vie durant. Le chant est également une activité majeure.

 

Une réflexion à propos de ces textes entraînant quelques suggestions pour de futures Orientations

Un préalable

Une répartition par sections serait utile après un rappel du Développement de l’enfant de 2 à 6 ans :

  • Section des Petits de 2 ou 3 à 4 ans

Il n’y a pas, légalement, de toute petite section appelée TPS de 2 à 3 ans - ouvrir dès la rentrée scolaire l’éventail des âges sur deux classes parallèles est bien plus profitable aux enfants.

  • Section des Moyens de 4 à 5 ans

  • Section des Grands de 5 à 6 ans.

Il existe actuellement trop de disparités entre les écoles maternelles qui ont toutes les chances d’être corrigées par des textes plus précis sur les contenus.

Nous trouvons des constantes dans les Instructions, Orientations ou Programmes. Au moment où s’élabore un refondement de l’école maternelle, ce sont celles-là qu’il faudrait retenir en priorité. Il faudrait dégager des objectifs et des domaines d’activités clairement formulés (sans connivence avec les initiés) permettant de les atteindre. Certains textes n’ont pas pris une ride, il faut les conserver, en particulier ceux sur la « socialisation » qui est devenu le « vivre ensemble ». Pourquoi pas ? C’est essentiel de même que la maîtrise de la langue.

L’école maternelle est une école à part entière qui reçoit tout naturellement des petits de parents provenant de toutes origines, de toutes nationalités. Quand ils sont accueillis à 2 ou 3 ans, en trois mois, ils parlent le français sans difficulté et progressent comme les petits francophones.

Dans cette école, on apprend à vivre ensemble et pour cela on obéit dès la rentrée à des règles de bonne conduite dans la classe, dans la cour de récréation, aux entrées et aux sorties, dans les couloirs, dans la salle de jeux, à la cantine. La salle de repos requiert une attention particulière. Attenante à la classe des petits, la porte peut être maintenue entrouverte quand les deux espaces sont occupés. Les deux étant placés sous la responsabilité de l’enseignant, la surveillance de la salle de repos peut alors être assurée par l’ATSEM (Agent Territorial de Service des Ecoles Maternelles). Mais cette disposition est impossible à généraliser car elle peut soulever des problèmes corporatifs. Une négociation au niveau des Ministères de tutelle serait à envisager. Il est tout de même regrettable qu’un Professeur des Ecoles soit obligé de surveiller des petits qui dorment.

Les surfaces des espaces scolaires sont consignées à titre indicatif dans un Guide des Constructions scolaires dans les Mairies. L’Etat n’a plus les mêmes exigences qu’autrefois depuis qu’il ne subventionne plus ces constructions. Les normes des classes, des salles de jeux et des cours de récréation ne sont pas toujours respectées.

A l’âge de l’école maternelle, l’enfant passe d’une attitude de participation à l’ambiance (vers deux ans) à une imitation de l’acte d’autrui dans une sorte de comportement parallèle (vers trois ans) sans avoir vraiment conscience de l’autre. Dans un comportement associatif (en fin d’école maternelle, entre cinq et six ans, il s’interroge sur son projet, sur celui de l’autre et essaie de construire avec lui un projet commun (dossier OMEP : La Socialisation à l'école maternelle, 1997 – C. Durand). La socialisation qui s’effectue dans l’école, c’est paradoxalement un travail d'individualisation. Au cours de la dernière année, se développe la conscience d’appartenir à un groupe. L’enfant se situe par rapport aux autres, dans sa famille d’abord par rapport à ses frères et s'urs, ses parents, ses tantes et oncles (ces derniers occupent une place importante aujourd’hui a déclaré Ph. Meirieu au Salon de l’Education 2007), à l’école ensuite (vis-à-vis des autres enfants, des enseignants, des adultes autres que la maîtresse ou le maître. Toutes les activités de l’école maternelle prennent leur sens dans cette perspective. On veillera cependant à donner toute leur place aux domaines de l’accueil, de la vie collective, de la communication. Ne pouvant pas tout développer ici, je dirai quelques mots concernant le troisième point, parfois insuffisamment pris en compte.

 

La communication - c’est le désir de communiquer qui crée la communication ; la moindre des choses, lorsque l’enseignant donne une consigne à un groupe ou à l’ensemble de la classe est que cette consigne, verbale, soit prononcée dans le silence, qu’elle soit claire, en français correct et pas dans un langage approximatif ; il s’assure que le message a été bien compris. Mais ce qui est plus difficile et cependant important, quotidiennement, c’est de provoquer des situations de communication au cours desquelles les participants du groupe ou de la classe tout entière sont invités à s’exprimer, à bien se faire comprendre pour l’efficacité des échanges. L’exigence du maître sera proportionnelle à l’âge des enfants. Le doigté est une qualité inhérente à la fonction, chez les petits en particulier. Les sujets collectifs, pour qu’ils accrochent l’attention, naissent de vrais problèmes à résoudre, de vrais sujets de discussion émanant de la vie réelle à condition que le référent soit commun à tous ou de celle introduite par l’imagination de l’enseignant. « Où a disparu la sorcière ? Nous l’avons laissée hier soir appuyée sur son bâton ». « Pourquoi le violoneux du tableau est-il triste ? Est-ce que le petit garçon qui le regarde pourra l’aider ? ». « Vous souvenez-vous du bruit que faisait le linge dans les machines à la laverie que nous avons visitée ? »...Une suggestion en entraîne une autre, et une autre, et voilà une histoire qui se crée, qui va s’enrichir au fil des jours grâce à l’implication de l’enseignant. Des séquences évoquées vont donner lieu à toutes sortes de productions jusqu’à parvenir à un jeu dramatique ou à une comédie musicale. Patiemment mais avec énergie, il a fallu apprendre la prise de parole, la pratiquer, même si on est timide et réservé, et il a fallu que les plus vifs réussissent à se contenir pour écouter et prendre en considération tout ce qui a été dit.

De l’oral au dessin, à la fabrication, à la symbolisation considérée comme un jeu intelligent il n’y a qu’un pas vers l’écrit que l’institutrice de moyenne section mais surtout de grande section dès le début de l’année franchira allègrement.

 

La maîtrise progressive de la langue

Bien parler suppose une bonne articulation phonique, la connaissance et le bon usage d’un nombre toujours croissant de mots et des énoncés bien structurés. La pédagogie du langage doit donc prêter attention simultanément à ces trois aspects : les mots (le vocabulaire), les sons (les phonèmes) qui demandent à être parfaitement prononcés par l’enseignant pour être audibles et reconnaissables et la structure de l’énoncé (la grammaire ou la syntaxe) pour comprendre le « qui fait quoi » dans une phrase et prendre le temps de se le représenter mentalement. C’est vraiment là le secret de la compréhension, rapide pour certains, plus lente pour d’autres.

Bien articuler, c’est être capable de prononcer distinctement tous les phonèmes de la langue, non pas séparément mais dans le flux de l’émission vocale (en section de grands, dès le deuxième trimestre, les phonèmes peuvent être distingués et prononcés, cf Instructions de 1976 – excellent exercice de discrimination auditive). Sonorités phoniques et rythmiques donnent leur valeur au langage poétique d’où la nécessité de les reproduire avec fidélité; il est indispensable d’amener très tôt les jeunes enfants à faire les distinctions phoniques qui déterminent les différences de sens (par exemple, poule/boule, poisson/poison, bague/bac). Des jeux de discrimination auditive fréquemment proposés par l’école, l’écoute et la mémorisation de comptines et de courts poèmes favorisent la perception de la langue en tant qu’objet sonore. Produire un son crescendo, decrescendo, varier le débit de prononciation d’une succession de sons, jouer sur l’intonation, le rythme, l’intensité, la hauteur de la voix, trouver des rimes constituent autant d’exercices proposés d’une manière ludique qui permettront à tous les enfants de réaliser des progrès considérables.

Une remarque à propos des BCD - l’installation des BCD dans les années 80 a été bénéfique quant à la relation à l’écrit et au langage d’évocation, au récit. Malheureusement, l’utilisation exclusive d’albums dès la petite section a fait occulter le développement du langage en situation : coins de jeux sans cesse enrichis, présence de personnages liés à des histoires proches des intérêts des petits, apparition de marionnettes qui constituent le patrimoine de la classe. Plus qu’ailleurs, c’est la vie propre à telle classe, telle année qui, partagée par tous, fera naître des émotions, des sentiments, développera une sensibilité, participera à l’éducation affective et mettra un lien renforcé entre des enfants semblables mais déjà tellement différents.

 

Les autres axes de la pédagogie maternelle

Il n’est pas possible de développer ici les autres axes et activités poursuivis à l’école maternelle et qui apparaissent cependant comme des constantes à travers les Instructions, Orientations et Programmes. C’est une nécessité de les rappeler aux enseignants. Nous nous contenterons de les citer :

  • Le domaine sensoriel et perceptif – l’image

  • La manipulation, la découverte, l’expérimentation

  • Les activités motrices et physiques – l’expression corporelle

  • Musique, chant danse, jeu dramatique

  • Dessin, graphisme, peinture, fabrication

  • Histoires, contes – l’imaginaire

  • Différents codages, l’écriture

  • Les structures logiques – la représentation de l’espace, les maquettes, les plans, les quantités discontinues et continues, les nombres

  • L’éveil au monde du vivant et à l’esprit scientifique.

Si seulement tous ces axes, tous ces domaines avaient été poursuivis et traités en conscience et régularité en prenant soin de renforcer l’intervention et l’aide bienveillante de l’adulte auprès des plus défavorisés, bien des déboires auraient pu être évités. Ajoutez, à la conscience et la régularité, l’enthousiasme et un brin de passion et la partie est gagnée pour compenser quelque peu les inégalités.

 

Les inégalités sociales

Elles existent hélas, c’est un fait de société. Au-delà des conditions de santé et de développement physique, elles sont essentiellement de nature culturelle. Ces inégalités se réduiraient énormément si toutes les constantes préconisées par les textes étaient observées. Les nuances existent, il suffit de les lire attentivement et de ne pas pratiquer une course effrénée à la réussite pour quelques uns en laissant les autres sur le chemin. Un minimum de connaissances en psychologie de l’enfant rappelle que l’important avant 6 ans c’est la démarche de l’enfant, la stratégie qu’il adopte pour découvrir, observer, comparer, effectuer des tracés qui lui sont propres beaucoup plus que le résultat trop guidé par l’adulte ou qu’il reproduit parfois par simple imitation. Nous le répétons : à certains enfants, il faudra plus de temps qu’à d’autres ; il est nécessaire de le leur accorder sans les stresser, tout en les sollicitant à leur mesure et en les accompagnant avec vigilance.

La Loi d’Orientation de 1989 a-t-elle seulement été lue ?

Place de l’élève au c'ur des apprentissages, rôle de l’enseignant dans la conception de séances originales qui font vivre à l’enfant des situations actives toutes en lien les unes avec les autres, préoccupation du sens et de la transversalité afin de garantir de la cohésion et de la solidité dans la construction des savoirs, savoir-faire, savoir-être. Des fondamentaux de la première école qu’on ne peut pas ignorer. Pourquoi certaines écoles ne ressemblent en rien à celles que nous avons connues il y a quelque 25 ans alors que d’autres savent parfaitement traduire la vie que les enseignants veulent installer et renouveler, avec la participation active des enfants ? Nous insistons encore : les premières sont précisément le reflet d’une société qui ''attache au résultat et ne laisse que peu de place à la démarche authentique de ''élève. Finies les séances de recherche, d’exploration : on fait remplir dès la petite section d’innombrables fiches qui tiennent lieu de séances d’apprentissage, on évalue des compétences avant de les avoir développées et c’est ainsi qu’on creuse le fossé des inégalités sociales et culturelles.

 

La formation en IUFM laisse souvent démunis les enseignants qui débutent en maternelle. Niveau valorisé dans le discours et dans l'imaginaire, il est insuffisamment travaillé dans la pratique. A la sortie de l'IUFM des professeurs débutants tiennent un double langage : d'une part ils disent être mal formés pour exercer à ce niveau et d'autre part ils recherchent à obtenir un poste en maternelle, souvent pour éviter des classes de cycle III dans des quartiers réputés "difficiles". Enseigner en maternelle devient un moindre mal.

Un recentrage de la formation sur les pratiques, plus nombreuses et plus régulières, est nécessaire parallèlement à une formation théorique actualisée et analysée. Il ne s'agit pas d'équilibrer les formations théorique et pratique mais de les mettre en lien pour fonder la pédagogie dans tous ses aspects, des plus quotidiens aux plus larges projections dans le temps des cycles.

La perte de spécificité de l'enseignement destiné aux plus jeunes est dommageable et on constate un développement de comportement quasi caricatural de "maître d'école", même face à des classes de petite section. Le malaise des enseignants pris entre un imaginaire d'une école maternelle d'antan et ce qu'ils pensent être la demande institutionnelle : le sérieux des apprentissages, conduit à des dérives y compris dans l'inadaptation de situations dites actives proposées aux élèves. Un exemple : une enseignante traite longuement des châteaux forts (dessins, maquette, décors,...) dans une classe d'enfants de 2 ans 1⁄2 au nom de l'acquisition culturelle et des apprentissages. S'il est nécessaire que les jeunes enfants rencontrent à l'école la diversité de l'inconnu (y compris, pourquoi pas, ponctuellement, un château fort dans un conte ou sur une image) on peut s'interroger sur ce qu'ils comprennent de ces représentations sur lesquels ils "travaillent" et du bénéfice qu'ils en tirent ? L'école maternelle ne joue pas son rôle si elle n'aide pas les enfants à décoder l'implicite de ce qui les entoure et de ce qu'on leur demande et si elle introduit des décalages voire la confusion entre les mots, les choses, le monde et ses représentations.

La trace, le contrôle - On constate à l’heure actuelle que dès la petite section, l’enfant est confronté de plus en plus à de nombreux exercices sur fiches. Les mobiles et les stratégies nécessaires aux apprentissages, jeux, explorations sensori-motrices, imaginaire sont à ce jour ignorées dans de nombreuses écoles ou placées au second plan. Seule la trace graphique ou écrite est valorisée. Le recours à l’édition commercialisée devient encombrante et rend l’enseignant moins inventif. Et c’est traiter de la même façon le normatif et le non normatif.

Là encore, le fossé des inégalités se creuse. Un travail codifié systématisé dont l'enfant ne comprend pas les implicites est contre-productif. Le "faire" sans comprendre donc sans penser débouche sur la résignation scolaire voire sur le refus. L'école se nourrit de ses propres rituels qui sont mieux décodés et plus valorisés par les familles socialement favorisées que par les autres.

Les pratiques de l'évaluation, pour l’essentiel sommative, dossiers remplis de rubriques incompréhensibles pour de nombreux parents concourent au renforcement des inégalités ; on renvoie à l’enfant et à ses parents des difficultés, des échecs. Pourtant des mises en 'uvre astucieuses pourraient permettre, mais pas avant cinq ans, une évaluation formative et génératrice d’apprentissages : toutes situations qui mettraient l’enfant en état de recherche et l’autorisent à se tromper, à recommencer, à construire de nouvelles hypothèses, à communiquer ses résultats, à les comparer à ceux des autres, à confronter ses démarches à celles de ses pairs, à faire qu’on construise à plusieurs son identité et ses savoirs.

 

Une solution majeure pour réduire les inégalités sociales : améliorer les relations avec les familles.

Après mai 68 en particulier, des essais d’ouverture de l’école ont vu le jour ici ou là. Des familles maghrébines étaient un jour invitées à faire le couscous à l’école, un père ou une mère asiatique écrivait au tableau quelques idéogrammes, deux ou trois phrases de sa langue dans la classe où se trouvait son enfant, répondait aux questions des petits camarades. Une ou deux mères chantait des chansons de leur pays ou enseignait une danse aux enfants. Quelques bonnes initiatives sans lendemain. D’autres franchement mauvaises comme celles qui consistaient à laisser les parents accompagner leurs enfants jusque dans la classe pendant une demi-heure après l’heure de la rentrée. Il a fallu mettre fin à cette pratique illégale engendrant agitation et désordre : elle détournait l’attention que le maître devait aux élèves au profit de deux ou trois familles. Une ou deux journées portes-ouvertes par an pendant une heure ou deux, si elles sont bien organisées et bien conduites peuvent être bénéfiques.

Exploiter des événements fortuits comme le retour d’un camarade parti hors de France, faire partager des émotions comme la naissance d’un petit frère, faire en sorte que dès la section des petits l’enfant s’intéresse à cette vie sociale que constitue son école et que les familles les plus démunies s’y intéressent aussi : l’école, lieu de reconnaissance sociale. La communication avec les familles doit être plus fréquente, plus proche afin d’expliquer la particularité des démarches pédagogiques. Une production graphique d’un très jeune enfant peut surprendre un parent non averti. Il est nécessaire d’expliquer : le petit ne dessine pas ce qu’il voit des choses mais ce qu’il en sait. Ce qu’il ressent. Plus jeune, son tracé est seulement la réplique d’un geste d’une main munie d’un scripteur sur une surface, presque sans signification. Les parents doivent être patients et surtout ne pas intervenir sur le tracé. L’enjeu pour le jeune élève est trop important pour ne pas y prendre garde. Cette communication aurait pour effet de rendre les parents plus actifs dans les démarches d’apprentissage ; elle pourrait se faire éventuellement avec l’assistance de personnels compétents pour les enseignants débutants.

Des problèmes de comportement surviennent souvent, émanant d’enfants de tous les milieux: ils peuvent provenir d’une initiation insuffisante à l’épreuve normale de la frustration. Des parents ne savent pas dire « non ». Leurs enfants finissent par obtenir ce qu’ils souhaitent par tous les moyens. Ils se comportent de la même façon à l'école. Malheureusement, dans les milieux défavorisés, à cette possible faillite de la famille s’ajoute souvent un langage insuffisamment stimulé. Les psychologues préciseront que ces deux facteurs, l’incapacité à refuser et la pauvreté langagière, ne s’ajoutent pas mais se multiplient.

Une explication appropriée par le maître en direction des parents peut apporter ses fruits. Concluons sur une note optimiste. Un bel exemple relevé en ZEP pour changer le regard des parents sur l’école et des enseignants sur la famille, pour redonner confiance à tous, à commencer par les enfants : un petit déjeuner, deux à trois fois par trimestre organisé dans l’école, le samedi matin pour les parents, les enfants et l’ensemble de l’équipe éducative (maîtres et personnel de service) est l’occasion, dans la bonne humeur, de tous les échanges et des explications de part et d’autre. Après ce moment convivial, un ou deux enseignants, par roulement, avec l’aide des ATSEM s’occupent des enfants dans les espaces de jeux pendant qu’un spécialiste bénévole, reconnu, orthophoniste, diététicien, auteur de livres pour enfants, un responsable de la prévention routière, fait un exposé, suivi d’un débat, aux parents et à l’équipe pédagogique en même temps. Cette opération connaît un grand succès. Une attitude positive, ouverte et généreuse de la part de la directrice en particulier, véritable moteur dans l’école, et de tous les enseignants a réussi en peu de temps à mettre à l’aise la totalité des parents heureux de la considération qui leur est témoignée.

 

La solution suprême pour réduire les inégalités à l’école maternelle reste l’amélioration du langage évoqué plus haut

L’enfant construit son langage mais c’est au maître à l’aider dans cette tâche difficile. Il en a le devoir, à tout moment, en toutes circonstances dans les différentes sections de l’école maternelle, de 2 à 6 ans. Langage outil, langage objet, les publications ne manquent pas. Une documentation souvent renouvelée est indispensable pour ne pas s’enliser dans une routine pesante. Le contenu des séquences est réfléchi et voulu, il n’est pas seulement proposé comme une occupation vide de sens. Donner à penser dès le plus jeune âge deviendra rapidement une habitude qui mettra du piment à la préparation. Le maître se prendra au jeu et proposera son sujet avec une conviction contagieuse qui stimulera petits et grands. Il est là le secret de l’école maternelle. L’enfant encore mu par le principe de plaisir à besoin de rire, de s’émerveiller, d’avoir un peu peur. Il parlera et le maître l’aidera, en situation, à utiliser le mot qui convient, le fera répéter et tout le groupe aura entendu ; il redressera un mot mal prononcé, une tournure maladroite.

Toutes les formes de langage seront prises en compte, le dialogue, le récit (avec passage de l’un à l’autre chez les grands). Les termes questions, réponse, ordre (pour l’utilisation de l’impératif) seront prononcés à bon escient. Le langage intervient dans tous les domaines, tous les axes (on ne dit pas encore disciplines) de l’école maternelle. Dans chacune des directions, le maître tentera de créer un milieu favorisant, une vraie vie où pourront s’engager toutes les sensibilités : c’est l’investissement de chacun qui assurera la transmission des connaissances.

D’année en année, les progrès se feront sentir, sans doute diversement mais sûrement, pour tous. Entre le langage lié à l’action du tout petit et l énoncé argumenté du « grand », prêt à entrer à l’école élémentaire, le chemin est long : c’est l’enseignant, par son attitude interactive qui saura aider tous les enfants à le parcourir.

Et alors, l’école maternelle redeviendra le fleuron de l’Education Nationale.

Colette Durand

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